Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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FERFI TEMBE (le Tembe-peint)

19/01/2013

Le Tembe-peint : un art populaire contemporain

 

Le Rijk Muséum d'Amsterdam et l'ancien Musée des Arts et Sciences d'Outre-mer à La Porte Dorée à Paris étaient sans doute (hors les collections privées), les seuls à posséder jusqu'à une date récente des ?uvres Tembe (culture Businenge de la Guyane et du Suriname) ayant quelques traces colorées. Seule la sculpture, remarquable, des objets usuels ayant retenu l'attention des chercheurs et voyageurs (Hurault, 1960), (Price, 1978) qui décrivent le Tembe tel un « art premier » ethnique, anonyme, collectif. Dans son ouvrage « Africains de Guyane » (1967), Jean Marcel Hurault ne mentionne jamais la peinture. Et dans « Afro-américan art of Surinam river » (1978, réédité en 2008) Richard et Sally Price minorent cette expression dont ils semblent vouloir tout ignorer : les symboles, les figures, les thèmes... et même les artistes !

 

0147.JPGCependant, dès la fin des années 1960, la vallée du Maroni témoignait déjà de l'éclatante créativité des Ferfi Tembeman. (Peintres Tembe). Portes, fenêtres, frontons de cases, avancées de pirogues, pagaies, bancs, etc. portent des compositions colorées originales. Inspirées des motifs traditionnels jusqu'ici sculptés les entrelacs (aponsi), les « figures classiques » d'une géométrie nommée et interprétable, agencent des œuvres uniques, datées, signées et le plus souvent titrées. Illustrant l'abstrait des compositions, ces titres, poétiques, proverbiaux, sentencieux parfois sont comme autant de clins d'œil du peintre à son public. « L'important est dans le regard, pas dans la chose regardée ».

Ainsi dès le début des années 1970, des amateurs éclairés commencent à collectionner des œuvres réalisées sur leur support d'origine, puis sur des bois ou des toiles préparées à cet effet. À la fin de cette décennie révolutionnaire partout dans le monde, un art populaire contemporain, le ferfi tembe est né.

Les œuvres « ripolinées », comme on disait alors, se découvrent un peu partout sur le Tapanahoni, le Lawa, le Maroni et les villes côtières. Un mythe moderne s'élabore aussi. Le Marronnage n'est-il pas l'intelligence qui « marronne » vers la conscience ? Et celle du beau, du « moy », celle qui prime sur toutes les autres ? Le beau, ce concept, cette évidence, ce qui manquait précisément au monde esclavagiste. Et sans doute encore au monde colonial. Le beau, seule valeur qui, pour les Tembeman, pose le diagnostic (esthétique ?) d'une société libre, résistante et créatrice.

De fait, ces œuvres innombrables constituent un visuel esthétique qui se démarque très vite du seul héritage ethnique. Elles révèlent un langage qui se distingue nettement, se partage et se transmet. Des « Écoles » se profilent : Da Panday (1921/1998), Da Ingisi Moni (1930-2000), Baa Seder (1928-2002) avec leurs disciples, leurs suiveurs et leurs dissidents.

08-03-23-076.JPGLe tembe-peint inspire les voyageurs. Il séduit les touristes, et trouve son public sur le marché de l'Art contemporain. Il sort des boutiques d'artisanat où il était reclus. Et ceux, qui dans les années 1960, découvraient les tembe-peints, avec de modestes acquisitions, se révèlent des collectionneurs avisés, des divulgateurs « initiés ». Complices d'un message, d'un langage déchiffrable, comme un rébus, issu du Marronnage à destination des contemporains. Et le mythe (signifié/signifiant) est en marche lui-aussi, indispensable à la compréhension, au « prendre avec » sinon à la connivence.

En Guyane, Pierre Servin dit Charlot (1928-2006), photographe, visionnaire, fondateur de l'Académie Populaire Guyanaise, fut l'un des premiers infatigables artisans de l'intégration de cet « Art Guyanais » dans le patrimoine pluriculturel de ce pays gourmand de métissages.

Au Suriname, parmi d'autres, Christopher Healy (1972) fût le premier universitaire à présenter le tembe-peint en tant qu'expression moderne, production artistique critique, créative, désanonymisée... « Il s'agit d'une sorte de traduction du réel, non d'une langue dans une autre, mais d'un état d'existence dans un autre, du réceptif au créatif, de l'impression purement sensuelle (sexuelle ?), à l'acte purement réflexif et critique ». La création artistique ici est toujours inspirée par les traditions qu'elle célèbre. Mais qu'elle conteste aussi ; elle puise ses sources dans les modes changeants de la vie quotidienne et chaque œuvre est désormais signée et titrée.

Les Ferfi tembeman initient de nouvelles visions du monde qu'ils testent en les interprétant publiquement : significations cachées, symbolisme des couleurs. Les tembeman dessinent une « carte de l'existence » en découvrant librement telle ou telle possibilité humaine. Il faut donc comprendre le tembe-peint comme l'illustration de possibilités. Antoine Dinguiou, Sawini Pinasi , Frank Amete à Kourou, Awini Dimpay et Joseph Amete à Saint-Laurent du Maroni. Et le plus éloquent d'entre-eux, reconnu par ses pairs aujourd'hui comme un basi fu tembe (un maitre du tembe-peint) l'honorable Antoine Aouegui dit Lamoraille qui, à travers de nombreuses expositions en Europe, au États-Unis, et lors de chaque Carifesta popularise cet art original, unique dans la Caraïbe et reconnu par les « Marronnistes modernes » (René Louise, 1980) tel un authentique manifeste esthético-philosophique Afro-américain.

08-03-20-046-copie-copie-1.jpgIl est agréable de considérer que même au regard averti du collectionneur, il est des aspects de ce manifeste qui se révèlent, toujours et encore, dans et par la forme et le sens : la miniaturisation de ces dernières années par exemple. Les œuvres de Thomas Adiejontoe, Carlos Adengue dans des formats de plus en plus petits composent des figures très complexes : l'univers géométrisé sur une enveloppe (A5). Nyoni sa sori bigi (Le grand est dans le petit). Il s'agit de fait d'un système public de significations symboliques développé et affiné par des générations d'usages et modelé par l'état esthétique de la société dans laquelle l'Artiste évolue. Déjà l'honorable Antoine Aouegui dit Lamoraille dans les années 1980 prétendait résumer la Lutte des classes en une seule figure « cardinale », charnière des idéologies et des théories du changement et de la continuité. Point de convergences, de dynamiques et mouvements symbolisés par les équilibres des contraires et des opposés. « La grandeur de l'Homme est dans l'accord de ses actes et de sa pensée » ; au-delà des apparences il est ce qu'il fait ! Bigi fu sama na'a sikin ma i membre nanga yu du. On croirait entendre du Malraux...

Le tembe-peint par sa double invite, visuelle et réfléchie, pose les angles, trace les courbes, marque les entrelacs, suggère les constellations de figures dans l'espace. Il est le miroir des humeurs, le reflet des postures (dessus/dessous), des ambitions amoureuses et des rages de l'artiste. Les « initiés » veulent y lire les échos des inspirations du moment. Chaque tembe-peint est une pièce d'un vaste puzzle de communication potentielle qui existe indépendamment de l'artiste, continuant souvent à parler au public, longtemps après sa création et par-delà de grandes distances culturelles. Et ce n'est pas un hasard si le maître Lamoraille a aussi été il y a longtemps le leader d'un mouvement d'avant-garde : le MLB, le Mouvement de Libération des Boni (1974). L'indépendance est un état d'esprit.

Porte Tembe (2)Dans cet état d'esprit Lamoraille fonde Mama Bobi après les commémorations du Bicentenaire de la Révolution (1989) organisées par la Région. Aussitôt il regroupe des collections éparses, des acquisitions anciennes diverses, des commandes de sauvegarde lors de la guerre civile au Suriname (1986-1991), où la reproduction d'œuvres menacées dans les villages du fleuve s'imposait. Et régulièrement il invite de jeunes artistes : Alex, Petrus Lodsweig dit Todo, Lando, Fyda, Sakante, Damien... Héritiers d'un langage, serviteurs inventifs de l'expression inépuisable de la géométrie des rencontres, des émotions, des sentiments ; illustrant sans fin la juxtaposition des contraires, la complémentarité des opposés, les centres et les périphéries. Aujourd'hui certains d?entre-eux se retrouvent en un collectif, toujours d'avant-garde : Mawina Tembe .

La collection Mama Bobi est désormais riche de plusieurs centaines d'œuvres. Grâce à des mécènes et des Institutions bien conscients de la nature de leur partenariat (Collectivité territoriale, Communes, Drac etc.), la collection voyage et s'enrichit d'acquisitions nouvelles. Mais surtout, en organisant des expositions-ateliers, les partenaires-relais de cette esthétique populaire contemporaine permettent aux visiteurs de s'approprier une expression artistique d'un genre bien différent de ceux auxquels ils étaient habitués. Le tembe-peint (débarrassé de sa symbolique sexuelle) est par exemple directement accessible aux scolaires, dépassant ainsi la traditionnelle présentation d'un art mystérieux aux origines Africaines « primitives ».

 

doc002Aujourd'hui des expositions de tembe-peint incitent les visiteurs à rester plus longtemps dans les galeries-ateliers et leur donnent l'occasion de se concentrer sur chaque œuvre et sur son message, et les invitent à faire part de leurs réactions. Ainsi des institutions-phares en Guyane (comme l'ENCRE) élargissent avec le tembe-peint leur offre et leur répertoire artistique pour inclure des formes minoritaires et populaires à portée universelle vraiment locales. Ce qui démontre combien la préservation ou la restauration des pratiques artistiques peuvent considérablement renforcer la confiance et la cohésion sociale partout où elles s'exercent.

 

Voici l'Homme et la Femme éternels mêlés dans la grande Aventure de la Vie, de l'Amour et de la Liberté. Érotisme ? Les titres des œuvres indiquent-ils la direction à suivre ?

Tradition = transmission + reconstruction.

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Depuis les temps du Marronnage, sur Soi, sur les Autres, le chemin reste celui du regard...

Source : Mama Bobi



19/01/2013
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