Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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SUICIDES EN MASSE CHEZ LES AMÉRINDIENS, 2ème partie

30/04/2012
Le suicide au sein de la communauté
amérindienne de Guyane
 
Une intervention de Brigitte Wyngaarde, le 27 février 2004 (Peut-on dire que les institutions n'ont pas été alertées ? Qu'elles ne savaient pas, que nous ne savons pas ?).
 
« Le récit que je fais est issu de témoignages et de rencontres avec des amérindiens des communautés Wayana, Kalina, Palikur et Arawak de la Guyane.
 
Le suicide dans les villages traditionnels Wayana
J'ai été alertée sur le sujet du suicide lors de conversations avec deux jeunes amérindiennes Wayana, il y a un an environ. Ces deux jeunes filles, âgées de quinze ans seulement, ont pu se souvenir d'une vingtaine de cas de suicide dans les villages Wayanas sur le Haut Maroni. Elles ont pu citer vingt-cinq tentatives de suicide. J'insiste là dessus : il s'agit de personnes qu'elles connaissent directement. Les faits datent de moins de cinq ans. Dans la Communauté Wayana du Haut Maroni, le suicide a donc pris des proportions énormes. Lorsqu'un cas se produit, tous les villages sont très vite mis au courant.

Le procédé de suicide est la plupart du temps la pendaison. La victime s'arrange pour être seule, chez elle, ou en forêt, où elle a préparé un dispositif.

Image-saisie-9---copie.JPGLe suicide se produit très souvent dans un contexte de fête. Les fêtes sont assez nombreuses : elles ont lieu à l'occasion des anniversaires, de Noël et du jour de l'an, à l'occasion des rencontres sportives. Lors des fêtes, le cachiri coule à flots, d'autres boissons parfois. Les fêtes sont des moments de joies et de partage, mais elles donnent lieu à des excès. Il s'est produit des viols à l'occasion de fêtes. L'idée du suicide est souvent associée à ces moments de fête : si on a connaissance d'un problème ou d'un différend, la moindre absence d'un enfant évoque chez les parents l'éventualité d'un suicide. Le motif immédiat du suicide est souvent dérisoire. Le motif d'ordre sentimental est très souvent évoqué (un jeune homme est repoussé, ou bien une alliance lui est refusée).

Les jeunes filles que j'ai citées font preuve d?un fatalisme très marqué sur ce sujet : elles parlent du suicide comme d'une force irrésistible. Cependant le suicide n'est pas évoqué comme quelque chose de négatif ou de repoussant.

J'ai aussi noté cela en discutant avec les parents : le phénomène est devenu si courant que leur principal souci est de ne jamais contrarier leur enfant, parce que leur enfant risque de commettre l'irréparable. Les suicides se produisent à des âges très variés. Il est vrai que les jeunes filles que j'ai citées ont du mal à évaluer l'âge des « grandes personnes ». L'éventail des âges s'étend de 12 à 55 ans. Mais les jeunes victimes sont très nombreuses. Il peut s'agir de célibataires comme de personnes « mariées ».

Il semble que le phénomène de suicide est moins marqué dans les Communautés du littoral.

-   Dans la Communauté Arawak (Balaté, Iwa, Sainte-Rose, Cécilia), il existe des cas isolés, de rares tentatives ; je n'ai pas souvenir à Balaté de cas de suicide.

-   Dans la communauté Palikur, (Kamuyeneh, Favard, St Georges) on ne m'a pas relaté de cas de suicide.

-   Dans la communauté Kali'na (Awala, Iracoubo, Yanu, Kourou), les cas semblent relativement plus nombreux (moins de dix sur les cinq dernières années).

 

Réflexion sur les causes du suicide

- L'environnement familial : il serait utile d'enquêter précisément sur ce sujet. Avec la banalisation du phénomène, je ne crois pas que les comportements suicidaires sont traités de façon efficace dans l?environnement familial : le fatalisme décourage le dialogue ; l'irrationnel est omniprésent : par exemple la mort est toujours considérée comme provoquée par une cause extérieure sur laquelle on n'a pas prise.

- Le contexte social et historique ; les amérindiens du sud n'ignorent pas les circonstances qui, au cours d'une histoire récente, les ont conduit à la situation dramatique actuelle : c'est l'intrusion et l'implantation coloniale, c'est la mise en place de l'économie de plantation. Les sociétés du littoral n'ont jamais désiré associer les amérindiens à leur réussite. Pour les premiers habitants de la Guyane, l'exclusion a perduré longtemps, parfois jusqu'aujourd'hui : en ce qui concerne la propriété foncière, le droit de vote, l'accès à la santé, l'accès à l'éducation. Cette exclusion est la cause réelle du profond pessimisme qui caractérise les sociétés amérindiennes. A cela s'ajoutent certaines souffrances et humiliations liées à des intrusions récentes sur leurs espaces de vie (orpaillage et empoisonnement au mercure).

Il faut prendre en compte les profondes mutations engendrées par la prise en charge par l'Etat des « besoins » sociaux (Rmi, allocations familiales). Ces revenus nouveaux ont conduit à délaisser les activités traditionnelles qui servaient de base aux relations et aux rites sociaux ; ils ont permis le progrès d?un certain individualisme ; ils ont banalisé l?assistanat. Ces changements ont produit une dégradation du relationnel ; il poussent à remettre en cause la règle et l'autorité coutumière. Il y a dégradation et perte de valeurs sociales.

Il faut parler de la paupérisation croissante des villages et du désarroi de la jeunesse.

Il faut évoquer le contexte d'éloignement et d'isolement des villages du haut Maroni. Ce contexte peut s'avérer particulièrement pesant sur des jeunes gens Wayana de plus en plus portés sur les rencontres et très ouverts sur les réalités du littoral. Le malaise de la jeunesse vient aussi du fait que la communauté à laquelle ils appartiennent ne peut pas répondre à leurs besoins d'un type nouveau, qui sont issus le plus souvent de sollicitations extérieures (par exemple, celles qui créent le besoin de s'identifier à une jeunesse type). Il y a une perte de confiance.
 

En conclusion

Il semble que le suicide dans les communautés amérindiennes, jusqu'à présent, n'a jamais été traité comme un problème de santé publique et n'a pas fait l'objet de mesures réfléchies. Le phénomène perdure, et sans doute, s'accroît. Les suicides sont-ils enregistrés comme tels dans les actes d'état civil ?

Les sociétés amérindiennes de l?intérieur vivent dans un contexte difficile qui provoque des mutations rapides. Les politiques publiques conventionnelles peuvent avoir des conséquences non maîtrisables.

Il est nécessaire de répondre à l'urgence et à la gravité du phénomène : il faut sans doute remettre en cause la représentation du suicide au sein des sociétés amérindiennes, mettre en place une information adaptée, des dispositifs d'écoute, une prise en charge des victimes de tentatives de suicide (mais aussi des relations proches de la victime), sans jamais désolidariser le sujet de son environnement communautaire.

Cependant les réponses de fond nécessitent une volonté politique : elles passent par la revalorisation des communautés traditionnelles au sein des sociétés de Guyane, par la relance d'une dynamique sociale dans les villages, par la reprise en main des communautés par leurs institutions propres. Cela exige un important effort de solidarité au niveau régional et national.

 

Remédiation : le suicide sur le Haut Maroni

Afin de répondre à l'urgence et à la gravité du phénomène, il faut :

- Engager une mission d'observation et d'évaluation sur place (pluri-disciplinaire) ;

- Créer une statistique ;

- Concevoir une information adaptée : apprendre à détecter les comportements pré-suicidaires ; savoir réagir et alerter ; savoir secourir la personne en détresse immédiate ;

Image-saisie-10---copie-copie-2.JPG- Mettre en place un dispositif d'écoute adapté : la personne en détresse doit pouvoir accéder à une personne ressource, ou joindre par téléphone une personne de confiance ;

- Mettre en place un dispositif de prise en charge des victimes de tentatives de suicide : prise en charge médicale et psychologique ; personne ressource* ; éventuellement placement dans une famille d?accueil spécialisée.

 

*Personne-ressource : il s'agit d'une personne du village, mère de famille, spécialement formée. Son rôle est d'assurer la continuité de l'effort d?information, d'être vigilante (querelles familiales, fêtes) ; d'agir en cas d'incident ; éventuellement de participer à la prise en charge. Elle doit être rémunérée.

 

Les réponses de fond nécessitent une volonté politique. Nous devrons :

- Interpeller les élus locaux sur la nécessité de s'impliquer en faveur des villages communautaires ;

- Relancer une dynamique sociale dans les villages : mettre fin à la précarité foncière, mettre fin à l'insécurité (atteintes à la santé, intrusions), rattraper les retards (éducation, équipements collectifs et commodités, cadre de vie) ;

- Revaloriser les communautés traditionnelles : intégrer la réalité des villages et des communautés dans les institutions de la Guyane ; intégrer les membres des communautés dans un processus d?accès à la citoyenneté (ex : commune du sud Maroni ), restaurer la confiance et la capacité de décision au sein des Communautés ».

Brigitte wyngaarde, association Villages de Guyane

27 février 2004

Photos JojoPilou 2009

 



30/04/2012
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