Un Témoin en Guyane, écrivain - le blog officiel

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SUICIDES EN MASSE CHEZ LES AMÉRINDIENS, 4ème partie

02/05/2012
L'isolement et la perte des repères traditionnels sont, entre autres, à l'origine du mal-être qui touche les communautés amérindiennes
 
Stéphanie Bouillaguet, Arnaud Saint-Maxent,
France-Guyane 18.03.2011
Les suicides n'ont pas toujours existé chez les Amérindiens ?
Il semble que l'ampleur du phénomène soit récente sur le Haut Maroni. Une enquête menée entre Maripa-Soula et Pidima, de 2000 à 2006, a recensé au moins 16 cas de suicides (hors tentatives) sur une population de moins de 1 000 habitants.
Cette accélération se confirme-t-elle aujourd'hui ?
Nous ne disposons pas encore de chiffres établis, mais [?] les jeunes semblent particulièrement touchés... Sur tous les cas recensés par l'enquête, 48% concernent des jeunes de 16 à 25 ans, et 22% des enfants de 10 à 15 ans. Et contrairement à la France métropolitaine, on ne note aucun cas qui concerne des personnes âgées de plus de 55 ans. De même que les suicides chez les moins de 15 ans sont vraiment rarissimes dans l'Hexagone.
Ciel-de-case-2.JPGCela n'a pourtant rien à voir avec la culture ?
On ne peut effectivement pas parler de culture, ni de tradition. D'ailleurs, les suicides sont aussi récurrents chez les populations bushinenges qui n'ont pas du tout la même culture, ni la même vision du monde. Ils vivent juste dans le même environnement physique et social. Certes, il est vrai que le taux de suicide chez les Amérindiens est 10 à 20 fois plus élevé que dans l'Hexagone, et 11 fois plus élevé que sur le littoral guyanais. Mais lorsqu'on s'entretient avec les Amérindiens, les professionnels, ou les personnes ayant vécu sur le Haut Maroni, tous n'ont pas la même approche du suicide, que ce soit de manière religieuse, philosophique, ou sociologique.... Les avis sont même parfois contradictoires.
 
 
Est-il possible d'avancer des causes à ce phénomène ?
C'est délicat. Ce que l'on peut dire, c'est qu'il existe un mal-être dans les populations qui vivent sur les fleuves. Et ce mal-être semble s'accentuer. Les causes sont plurifactorielles (lire par ailleurs). Après, on peut noter qu'en ce qui concerne le passage à l'acte, on constate souvent des situations d'alcoolémie. Et la plupart du temps, les suicides se font par pendaison.
Les moyens de prévention sont-ils suffisants pour combattre ce fléau ?
Pendant des années, les populations n'ont pas été entendues. Daniel Toko-Toko, notre médiateur sur place, à Elaé a pourtant tiré plusieurs fois la sonnette d'alarme, comme d'autres. Mais son poste n'a pu être créé qu'au mois de mai dernier. On vient juste d'avoir les subventions alors que le sujet est une priorité pour les populations du fleuve. On manque toujours de financement, mais les choses se débloquent tout doucement. Les communes isolées manquent de personnel médical en général. Ce qui est dommage, c'est que les personnes qui se suicident montrent souvent des signes avant de passer à l'acte. D'où notre frustration, car on n'a pas de spécialistes sur place pour les prendre en charge.
Une population au bord du désespoir ?
C'est difficile à expliquer, mais parfois, les jeunes se suicident juste à cause d'une déception amoureuse, tente d'expliquer David, un Wayana de Tedamali, situé à quelques minutes de pirogue de Maripa-Soula. Lorsqu'il y a de l'alcool, ils font vite n'importe quoi. Et parfois, poursuit-il, certains parents veulent les faire se marier alors qu'ils ne s'aiment pas vraiment, alors ils font des conneries » . Mais pour Ti'Iwan, originaire d'Elaé, le problème est plus profond. « Il y a l'alcool bien sûr, la drogue, la violence, et l'orpaillage, qui n'existaient pas avant et qui font que la vie est devenue difficile. Mon grand-père m'avait raconté que la première Wayana s'était suicidée dans les années 40 ou 50. Car avant qu'un pasteur ne vienne nous parler de Judas qui s'est suicidé, on ne connaissait pas ça chez les Amérindiens. Le problème, ajoute la Wayana qui a rejoint le littoral, c'est que les jeunes ont du mal à parler de leurs problèmes, et qu'on n'a pas de soutien dans nos villages. Selon un « métro » qui côtoie les Wayanas depuis longue date, « se supprimer n'a jamais fait partie de la culture amérindienne. Ce n'est qu'une résultante de plus du choc frontal de nos civilisations. Avant, chaque personne avait sa place et son rôle dans la communauté, mais aujourd'hui les Amérindiens ont perdu leurs repères. C'est une population au bord du désespoir ».
 
 
UNE VOLONTÉ COMMUNE DE SE « PRENDRE EN MAINS »
Après le nouveau suicide qui a frappé Antecume Pata, plusieurs personnalités des communautés amérindiennes de Guyane réagissent. Les causes du malaise, le passage à l'acte, les absences de l'État ou les responsabilités des communautés, ils nous éclairent sur un phénomène préoccupant et évoquent leurs solutions.
 
ALAIN MINDJOUK, Président de l'association Prévention-santé à Iracoubo
Comment expliquez-vous la vague de suicides qui touche les communautés amérindiennes ?
Il existe plusieurs pistes pour expliquer les suicides chez les Amérindiens. D?abord, nous sommes très sensibles. Physiquement, physiologiquement, nous tenons moins l'alcool que les autres, comme les Européens ou les Noirs. Et ça agit sur le mental et le physique. Les habitants des communes du fleuve sont aussi très isolés. Il n'y a pas d'infrastructures, pas d'activités. Cela peut conduire à un sentiment d'échec. Et puis, il y a une perte de l'identité, on ressent qu'il n'y a pas de fierté à être Amérindien, pourtant, nous avons beaucoup de valeurs.
Vous parlez d'une perte de l'identité?
Tous les peuples premiers subissent les mêmes problèmes, comme les Aborigènes en Australie ou les Amérindiens d'Amérique du Nord. On perd notre identité, nous subissons. Mais il suffit que deux ou trois jeunes se rendent actifs pour revendiquer cette culture-là. Nous, on s'est engagé tout seuls, personne ne nous a poussés, on l'a fait pour aider notre peuple.
Cela fait longtemps que vous sentez ce mal-être ?
On avait tenté de sonner l'alerte plus tôt. On voyait sur le terrain le malaise. On voyait que ça pouvait mal finir. Depuis mon plus jeune âge j?ai été confronté dans mon entourage à l'alcoolisme. Deux personnes de ma famille se sont suicidées il y a quelques années. Ça me touche. Il faut créer un groupe d'Amérindiens qui veulent travailler pour leur peuple. Il faut encourager les peuples à étudier, à rétablir leurs droits.
 

FRANCK APPOLINAIRE, Amérindien kali'na, chargé de communication à la mairie d'Awala Yalimapo

Selon vous, quelle est l'origine du mal-être ?

Nous sommes en train de rassembler des données pour connaître exactement le nombre de villages sur le Haut Maroni et le Haut Oyapock et leurs infrastructures (écoles?). Il existe parfois un choc entre ce qu'il y a de plus « primitif » et le plus visible en termes de modernité. Les jeunes qui vont en ville en sont fascinés. Ils se rendent compte que la vie peut être différente ailleurs. Ils sont déboussolés quand ils rentrent dans leur village, où ils ont des responsabilités à assumer. Dans ces villages isolés, il n'y a pas d'internet, pas grand-chose comme loisirs. Il faut donc que le jeune soit bien entouré, que les passerelles entre les générations soient solides. Aujourd'hui, les autorités coutumières sont âgées, et dépassées par les attentes et les préoccupations de sa propre jeunesse. L'exercice de l'autorité coutumière doit évoluer avec le temps.

Y a-t-il des raisons communes au passage à l'acte ?

Les mobiles changent d'un suicide à l'autre au sein d'une même communauté, mais aussi d'une communauté à une autre. Il y a des différences entre les communautés, dans l'organisation sociale, politique et spirituelle.

Quel est le rôle des élus locaux ?

Chaque commune, comme Maripa-Soula, doit intervenir dans l?aménagement du territoire pour contribuer à l?épanouissement moral, physique et intellectuel de l?individu.
Pour les prochains jeux Kali'na, nous allons les faire venir, et leur faire comprendre que c'est l'image de leur région qu?ils défendent. Il faut qu'ils s'inscrivent dans une logique de respect de soi et des autres, dans une forme de dignité et de fierté retrouvées. C'est peut-être ça qui leur manque, de ne pas être fiers d'être Amérindien, ils pensent qu'ils sont battus d?avance, qu?ils ne peuvent pas y arriver.

 

 

FLORENTINE ÉDOUARD, Présidente de l'Onag (Organisation des Nations Amérindiennes de Guyane)

Que ressentez-vous après la nouvelle d'un nouveau suicide à Antecume Pata ?

Je ressens beaucoup de colère. Pendant que les politiques se battent pour le pouvoir et qu'au niveau national on débat sur plein de choses comme le voile, des Amérindiens se suicident en silence et c'est une population qui s'extermine dans l'indifférence. Personne ne fait rien, c'est à croire que l'on ne vaut rien. J'ai l'impression qu'il y a une volonté pure et simple de ne pas s'occuper de ce problème, ça n'intéresse pas. Je suis très en colère de voir, même, qu'on nous considère encore comme des sauvages, comme si nous n'avions pas d'âme, pas d'esprit.

Des mesures ont été annoncées en début d'année par le préfet, qu'en pensez-vous ?

Les dix mesures annoncées par la préfecture n'impactent pas le haut Maroni. De toute façon, elles ne suffisent pas. Il faut ouvrir des centres de santés dans les villages amérindiens, il faut des médecins sur place. À Camopi, on a envoyé un psychiatre, mais nous ne sommes pas fous ! Ce qu'il faut plutôt, c'est un pédopsychiatre pour prendre en charge les enfants.

Selon vous, quelles sont les priorités pour enrayer ce triste phénomène ?

Il faut absolument désenclaver le haut Maroni et la région de Camopi et pour cela il faut supprimer la zone d'accès réglementée. Avec cette zone, on essaie de surprotéger les populations mais ce n'est pas comme cela qu'on nous protège vraiment, au contraire on nous exclut de la société guyanaise en limitant les échanges avec l'intérieur. Ce n'est pas normal que de nombreux Guyanais ne connaissent pas Camopi parce qu'ils ne peuvent pas y aller et ce n'est pas normal que ce soit le préfet qui décide qui peut venir ou non chez nous. Cette décision devrait revenir aux maires.

Les communautés ont elles aussi leur rôle à jouer, non ?

Il faut redonner leur place aux autorités coutumières pour remettre de l'ordre dans les communautés. Pour nous, les autorités coutumières sont la référence, elles sont capables de régler les problèmes sociaux, d'écouter, de remettre un dialogue en place mais elles ont été balayées par l'État. Depuis 1982 elles sont aux mains du conseil général donc empoisonnées par les partis politiques alors qu'elles devraient être totalement indépendantes. Le seul interlocuteur que devraient avoir les autorités coutumières, c'est le préfet en tant que représentant de l'État, mais en traitant d'égal à égal.

 

 

ALEXIS TIOUKA, quatrième adjoint à la mairie d'Awala-Yalimapo

Comment réagissez-vous après ce nouveau suicide qui a touché Antecume Pata ?

Il y a vraiment une colère qui se dégage. Je pense qu'il est temps que l'État élabore un plan d'urgence, à l'image du plan urgence Maroni, axé sur la santé et l'évolution de la situation dans l'avenir. Il est possible de mettre cela en place rapidement, nous devons le faire car il y a urgence. Il n'est pas normal que la communauté Wayana à elle seule ait quatre suicides à déplorer en quelques mois.

Un dispositif d'urgence a été mis en place par la préfecture à Camopi ?

À Camopi, le dispositif qui a été mis en place par le préfet ne suffit pas à enrayer le fléau. Il faut que les professionnels envoyés sur place, comme les psychologues, habitent sur place et non à Saint-Georges et qu'on y pérennise l'expérience sur une longue période. Et puis c'est le moment de lancer une réflexion communautaire. Les communautés amérindiennes du Canada ont été confrontées au même problème et elles se sont prises en charge. Nous devons prendre le problème dans sa globalité en mobilisant les professionnels et que les communautés jouent leur rôle. À Antecum Pata, des jeunes ont fondé une association, il faut les aider. Il faut proposer des formations aux jeunes notamment dans l'écotourisme rural pour qu'après leurs études, ils retournent dans leur communauté avec un projet de développement. Il y a ce genre de formation à Matiti mais l'information n'arrive pas sur le fleuve et les jeunes sont livrés à eux-mêmes.

Que manque-t-il pour que ce genre d'information arrive sur place ?

Tous les services de l'État qui existent pour les jeunes sur le littoral, comme la Mission locale, n'existent pas dans l'intérieur. Il faut décentraliser les services publics d'État. C'est possible à Papaïchton, Grand Santi et Maripa Soula car cela ne concerne pas que les Amérindiens mais aussi les Businenge. Ceux qui s'en sortent sont ceux qui travaillent pour le Parc national mais le Parc ne peut pas embaucher tout le monde et ce n'est pas son rôle de régler ces problèmes. Je tiens aussi à dire que les sectes font aussi des ravages dans les communautés, elles décrédibilisent les autorités coutumières auprès des jeunes. Et quand un jeune se désintéresse de son identité, il a du mal à retrouver sa dignité.

Comment voyez-vous les solutions à long terme ?

Il faut une planification pour que les communautés sortent de l'isolement car c'est l'isolement et l'inertie qui mettent les gens dans cette situation de détresse. Que ce soit sur le Maroni comme sur l'Oyapock, il faut revoir le principe de la zone d'accès réglementé. Sur le Maroni, quelques personnes se lancent dans l'écotourisme, il faut ouvrir la zone pour permettre un développement de cette activité. De toute façon, il n'y a aucun contrôle possible, pas de vraie application du décret.

Chez vous, à Awala Yalimapo, qu'est-ce qui a été mis en place pour lutter contre le suicide ?

À Awala et plus généralement sur le littoral, nous sommes moins marqués. Il y a eu quelques suicides sur notre territoire mais c'est moins important aujourd'hui. Chez nous, l'activité traditionnelle est encore très forte mais c'est vrai qu'une certaine inertie a tendance à s'installer alors que des structures existent. Mais il y a le problème des transports qui fait que lorsqu'un jeune est convoqué à Saint-Laurent, il ne peut pas forcément s'y rendre. Malheureusement, ici le Conseil Général n'a pas développé le transport. L'association Adère va mettre en place avec la municipalité un programme de prévention sur la drogue, l'alcool et les addictions. Nous cherchons d'ailleurs des partenaires. Durant les prochains jeux Kali'na, nous aurons des stands pour sensibiliser aux effets de l'alcool et de la drogue et avec les associations nous organiserons des débats et des projections de film. Nous voulons profiter de la présence de personnes de l'intérieur. Et puis nous avons proposé une collaboration avec la municipalité de Camopi. René Monnerville a donné son accord et nous allons pouvoir organiser des dialogues, des échanges et faire des propositions ensemble.

 

 

AKAWAÏPIN SEITH, trésorière Kupun Kohmé Heitei/Association d'Elahé

Quelle réaction vous inspire ce nouveau suicide à Antecum Pata ?

J'ai l'impression que ce phénomène touche des personnes de plus en plus jeunes. Je ne sais pas ce qui leur prend. Souvent, il y a un chagrin d'amour conjugué à l'alcool. À côté des villages amérindiens, il y a souvent des commerces des sites d'orpaillage clandestin. Ils vont là-bas pour se saouler. Pour moi, l'alcool est le premier responsable. Les jeunes boivent avant de passer à l'acte.

Et comment expliquez-vous cet alcoolisme ?

De plus en plus de jeunes quittent l'école et ne font plus rien. L'ennui et le manque d'avenir les amènent à boire. De plus en plus de filles se mettent aussi à l'alcool et elles en boivent beaucoup.

Mais on a l'impression que le suicide touche surtout les garçons, ce n'est pas le cas ?

On entend parler des garçons qui se suicident mais de nombreuses filles essaient aussi, elles se pendent.

Au sein de votre association, comment tentez-vous d'enrayer ce phénomène ?

C'est difficile. Malheureusement, cette année l'association est en veille car étant enceinte, je préfère rester sur le littoral où je travaille. L'an dernier, j'ai passé du temps à Elahé pendant les grandes vacances, on a parlé avec les jeunes, on les a motivés et on a organisé ensemble une grande fête pour tous les jeunes du haut Maroni avec un tournoi de volley. L'alcool était interdit, seul le cachiri traditionnel était autorisé. J'anime des ateliers patrimoine à Saint-Laurent, j'aimerais en faire autant à Elahé mais je ne peux pas le faire toute seule.

Personne ne prend le relais sur place ?

Les jeunes ont du mal à venir d'eux-mêmes dans l'association, il faut toujours être là avec eux. Ils manquent de confiance en eux et du coup ils ne font pas grand-chose d'eux-mêmes.

Et pourquoi selon vous ?

De moins en moins de jeunes sont intéressés par leur patrimoine, ils sont toujours habillés à l'Américaine. Moi, je leur dis : « on restera toujours des Amérindiens et on restera toujours en forêt ». Mais eux me répondent : « de toute façon notre vie est foutue, on ne va bientôt plus exister ».

 

Parmi les causes du désespoir et de la résignation des amérindiens figurent en bonne place l'incurie des pouvoirs publics et l'orpaillage, qu'il soit clandestin ou « légal » , qui détruit pareillement l'environnement des peuples autochtones. Les clandestins brésiliens rejettent dans l'environnement quantité de mercure, les entreprises concessionnaires rejettent sans mesure leurs saletés : l'extraction de 20 g d'or (un bracelet) requiert 50 000 litres d'eau, 150 litres d'essence, émet 415 kg de CO2, 18 kg d'oxyde de souffre, 40 g de mercure, plomb, cyanure ou arsenic et 20 tonnes de déchets miniers (source: http://sites.google.com/site/maiourinature/home).

Voir la carte ci-dessous, CQFD).

 

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02/05/2012
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